Montagny : Le meilleur job du monde devient son pire cauchemar

Sainte-Lucie, une île magnifique, un bureau de rêve ? (photo pixabay)
Sainte-Lucie, une île magnifique, un bureau de rêve ? (photo pixabay)

Elle a suivi des études brillantes et affiche un parcours professionnel de prestige avec la direction notamment de deux grands offices de tourisme. Pourtant, comme l’a souligné son avocat, maître Paradan, elle a perdu pied.

Les faits se déroulent entre le mois de septembre 2016 et août 2020. Evelyne se voit proposer une opportunité unique, un métier de rêve pourrait-on dire  : elle est recrutée comme directrice de l’Alliance Française à Sainte-Lucie. Sa mission, sur ce confetti paradisiaque perdu au cœur de la mer des Antilles  : promouvoir la culture et la grandeur de la France pour 8.200 euros par mois.

Le 5 mai 2021, le ministère des Affaires étrangères attire l’attention des gendarmes sur des soupçons de détournement d’argent. En tout, énonce la juge Michelle Raffin ; 179.000 euros dont 82.000 injustifiés, 80.000 suspects et 17.000 en retraits d’espèces. C’est son successeur qui a découvert des anomalies de gestion et effectué un rapport d’étonnement  : 25.000 euros envoyés directement sur son compte, 30.000 euros pour la location d’une voiture, d’innombrables achats pour des milliers d’euros en lingerie, aliments, parfums, ordinateur, outillage et même une cave à vins qui a été saisie dans sa maison de Montagny. Evelyne a aussi fait travailler son compagnon et son fils. Invitée à s’expliquer, la prévenue raconte le paradis qu’on lui avait décrit avant de prendre sa fonction et une réalité complètement différente  : en arrivant dit-elle, elle trouve une voiture de fonction délabrée, un bâtiment «  qui tombe en ruine » et aussi une vie insulaire très chère « où l’on vit au rythme des cargos qui arrivent ou pas avec des produits qui n’existent pas ». Elle décrit la faiblesse des moyens mis à sa disposition et avoue que petit à petit, comme les cartes bancaires étaient à son nom, « une porosité s’est créée entre celles de l’Alliance et les miennes ». Les 25.000 euros d’un compte à l’autre, « ce n’est pas de la confusion  ! », réagit la juge  : « J’ai commis l’erreur de vouloir régler un problème qui était le mien avec de l’argent qui ne m’appartenait pas. Mais je comptais rembourser  ! » Elle reconnaît sa négligence mais décrit un contexte compliqué  : «  Rien ne fonctionnait, mais on me disait  : vous faites. J’aurais pu arrêter, mais j’ai continué et ai cumulé les erreurs. mais j’ai tout remboursé ».

« Elle a mangé du serpent car là-bas, on mange du serpent »

La procureure Sandra Reymond acquiesce, mais commente  : « Un repenti tardif ne fait pas disparaître l’infraction. Vous avez mis en place un mode de fonctionnement n’ayant pas lieu d’être en tant que dépositaire de comptes publics. Au début, nous avions retenu 300.000 euros de détournement, nous n’avons conservé que ce qui était caractérisé, soit 93.000 euros, ce qui n’est pas anodin ». Elle sollicite une peine de un an de prison avec un sursis probatoire de deux ans et une amende de 5.000 euros.

Maître Paradan insiste sur le rapport d’alerte rédigé par sa cliente lors de sa prise de fonction, la transmission à l’ambassade française de tout ce qui n’allait pas. Et face au silence de sa hiérarchie, la nécessité de s’adapter aux manques de moyens, à un dysfonctionnement général qui l’a conduite à dysfonctionner elle-même  : « Elle a mangé du serpent car là-bas on mange du serpent. En revenant en France, elle ne va pas demander à manger du serpent au restaurant. Cette expérience lui a coûté de l’énergie, des illusions et de l’argent ».

Le jugement a été mis en délibéré au mois de mai.