«On est en insécurité permanente» : en grève, les urgentistes de Thonon expriment leur mal-être

Une grève reconductible est suivie par la cinquantaine d’infirmiers et aides-soignants des urgences de l’hôpital de Thonon.
Une grève reconductible est suivie par la cinquantaine d’infirmiers et aides-soignants des urgences de l’hôpital de Thonon.

Le mouvement est annoncé en grand sur la vitre de l’accueil : ‘‘En grève. Soignants en danger = Patients en danger’’. Ces affiches se fondent presque dans le décor tant les cris d’alerte du personnel soignant se sont multipliés dans tous les hôpitaux.

En grève, le personnel des urgences garantit tout de même le service habituel.
En grève, le personnel des urgences garantit tout de même le service habituel.

A Thonon, la totalité des 50 infirmiers et aides-soignants des urgences suit le mouvement de grève, soutenu par les médecins. Un préavis illimité a été déposé le 20 février par Force ouvrière, le syndicat majoritaire aux Hôpitaux du Léman (HDL). Personne n’est à l’arrêt pour autant : à l’hôpital, la grève relève souvent du symbole. Les grévistes ont reçu une assignation les obligeant à poursuivre leur travail pour assurer la continuité des soins. Certains ont pensé se mettre en arrêt-maladie pour un impact plus fort, mais « éthiquement, ce n’est pas possible ». Soigner, venir en aide à ceux qui en ont besoin, voilà ce qui les a amenés à l’hôpital. Mais avec des conditions de travail qui se dégradent, pour eux, le sens de leur métier ne cesse de s’étioler.

« Je ne voyais pas mon métier comme ça »

Des urgentistes prennent quelques minutes pour porter la voix du collectif et faire entendre leur mal-être. « Chaque année, c’est de pire en pire. Jusqu’où ça va aller ? débute une jeune infirmière. On a fait des études pour pratiquer un métier humain. Quand on rentre mécontent de ce qu’on a fait après une journée de 12 heures, on se demande si on va y retourner le lendemain. Je ne voyais pas mon métier comme ça » Son collègue renchérit sur ce gouffre entre la formation et la réalité du terrain : « Pour le dernier stage, on doit gérer 6 patients en même temps. Puis une fois diplômé, c’est ‘‘vous avez 60 patients, bon courage’’. »

L’horloge affiche 11 heures, une infirmière rentre de sa dernière intervention en Smur. Elle termine sa garde de 14 heures, 2 de plus que prévu, et reviendra pour une nouvelle nuit dès 20 heures le même jour, un temps de repos insuffisant au regard de la loi. Son retour offre l’occasion d’aborder une autre anomalie : les HDL n’ont pas d’ambulanciers. Les soignants conduisent alors que le Code de la santé publique impose un médecin, un infirmier et un pilote pour chaque équipage. « L’infirmière va sur une intervention, elle a une poussée d’adrénaline. Au retour, après une journée de 14 heures, elle a le contrecoup qui l’assomme. Sans compter qu’elles ne sont pas formées pour ça », s’indigne un syndicaliste. Une infirmière résume : « En fait, on est en insécurité sur n’importe quel poste que l’on fait. » Le directeur de l’hôpital, Laurent Donadille, indique avoir « identifié le problème ». La présence d’ambulanciers 24 heures sur 24 implique « 6 ou 7 postes supplémentaires. Je ne peux pas créer des postes de travail », ajoute-t-il, impuissant.

Les urgences, porte d’entrée de l’hôpital

Pour les soignants et les représentants syndicaux, la dégradation des conditions de travail au service des urgences est la conséquence de fermeture de lits. Le transfert vers les autres services ne se fait plus, faute de place. « Les entrées se font principalement par les urgences donc c’est là que ça bloque. » En prenant leur poste le matin, les soignants doivent « s’occuper de dizaines de patients restés sur des brancards et dans les couloirs toute la nuit, parfois depuis 72 heures, avant de pouvoir assurer la prise en charge des nouveaux arrivants ». Les infirmiers souhaitent ainsi faire entendre leur désarroi. « Que les personnes extérieures comprennent qu’on fait le maximum. On n’accepte pas les conditions actuelles mais on n’est pas responsables. Ce n’est pas nous qui prenons les décisions », lance une infirmière.

Des revendications exprimées de longue date

Éric Favre, Rémi Dellapina, Sandrine Bordet et Fabienne Bouvet, représentants syndicaux Force ouvrière aux Hôpitaux du Léman relaient les revendications nationales de leur fédération : « Un plan Marshall pour sauver l’hôpital public » pour « rattraper 20 ans d’inaction ». Le service des urgences de l’hôpital de Thonon fonctionne avec une dizaine d’aides-soignants et près de 40 infirmiers. Les syndicats et soignants renouvellent leurs demandes déjà exprimées en 2019 de voir ces effectifs augmenter. Ils souhaitent également du matériel supplémentaire pour permettre de surveiller comme il se doit des patients placés dans des zones hors urgences en raison du manque de place.