Dans les villes, les commerces vont et viennent. Pas la lingerie Garcin, ancrée place Notre-Dame à Annecy depuis juillet 1933. Cette institution annécienne n’a pas bougé depuis sa création par Clémentine Garcin, l’arrière grand-mère de l’actuelle gérante, Virginie. Mais lors de notre visite, c’est la mère de cette dernière, Michelle Martin-Cocher, qui a le rôle de mémoire des lieux. Elle y a passé toute sa vie. « Ma grand-mère a acheté le local à une de ses amies qui y avait une herboristerie. Elle a commencé son activité de corsetière avec seulement une cagette qui contenait ses affaires ! Elle m’a appris le métier… »
« Je suis tombée dedans ! »
À cette époque, Clémentine Garcin confectionnait ses corsets sur-mesure et passait des heures chez ses clientes pour les essayages. Si la boutique a commencé « doucement », la lingerie Garcin est ensuite devenue une affaire de famille : la mère de Michelle, Suzanne Capron, et Michelle elle-même, participant à l’aventure. « Ma mère a commencé à travailler dans la boutique un peu avant le décès de ma grand-mère en 1977, précise Michelle Martin-Cocher. Mais elle faisait surtout la comptabilité. Moi, j’ai commencé à y travailler à 15 ans et je vendais avec les deux autres vendeuses. Je suis tombée dedans, ça fait 66 ans que je suis là ! Au point que les gens m’appellent Mme Garcin, alors que ce n’est pas mon nom ! » L’ancienne gérante fait donc partie des murs.
Le magasin a, lui, gardé le nom de sa créatrice. Il s’agit même de la plus vieille boutique de lingerie de France toujours gérée par la même famille. « Certaines autres sont aussi anciennes, mais ont été reprises ou rachetées. C’est l’un de nos fournisseurs qui nous a dit qu’on était la dernière de France à être toujours dans le giron familial et au même endroit, explique Michelle Martin-Cocher. D’un côté, c’est triste que le savoir-faire parte ailleurs qu’en France… »
« On a eu la chance d’avoir des filles jusque-là ! »
Car la famille a toujours voulu garder un conseil « à l’ancienne ». « On fait beaucoup d’essayages encore aujourd’hui et on connaît les gens, précise Virginie Martin-Cocher. Du coup, il n’y a pas vraiment de concurrence avec les grandes chaînes. On n’a rien à prouver : ce que l’on sait faire, ils ne savent pas toujours le faire. Ils nous envoient même souvent des clientes qui ne trouvent pas leur taille ! »
Aujourd’hui, Michelle a pris à son tour sa retraite et a laissé la main à sa fille Virginie. Cette dernière a aussi une fille adolescente, qui n’a pour le moment pas d’envie particulière de reprendre la boutique. « On a eu de la chance d’avoir des filles jusque-là, commente Virginie Martin-Cocher. Mais est-ce que l’histoire s’arrêtera aux 100 ans ? On verra bien ! En attendant, on évolue avec notre temps, on se tient au courant des tendances pour ne pas rester dans le passé ! »
Si son arrière-grand-mère, sa grand-mère et sa mère ont travaillé à la lingerie Garcin, le destin n’était pas forcément tout tracé pour Virginie Martin-Cocher, la 4e génération de la famille. Au départ, Virginie est coach sportif. « Mais je passais mes journées à la lingerie en étant petite. Plus tard, j’avais du temps libre, une vendeuse a pris sa retraite, alors je suis venue entre deux pour un mi-temps, pour aider. Et finalement, j’ai repris à plein-temps il y a 18 ans ! »
Au fil du temps, les femmes de la famille ont « vu l’évolution de la lingerie et les débuts du soutien-gorge » car à l’époque des corsets, il n’y avait pas de marque de lingerie à proprement parler et encore moins de modèles en prêt-à-porter.
Alors quand elle a commencé à travailler à la boutique, Virginie Martin-Cocher a remis un coup de jeune. « J’ai ramené plein de nouveautés et de couleurs, un vrai saut technique ! Les gens regardaient la vitrine en se demandant ce qui se passait », se rappelle-t-elle en riant. Mais il était important pour elle de « se mettre au goût du jour », tout en gardant l’âme du petit commerce avec son service et son conseil, qui avait fait la renommée de la lingerie Garcin jusque-là. « On s’est formées entre nous, en famille, si bien que je n’ai jamais eu l’impression de ne pas savoir faire. On arrive à avoir des générations de clientes, les grands-mères viennent parfois avec leurs petites-filles et restent fidèles. »