Il est 20h à la salle Ducis, dans le centre du village. Josiane Tercinet accueille un petit groupe d’habitants pour un atelier de patois. L’objectif de ces soirées : apprendre suffisamment de vocabulaire pour pouvoir tenir une conversation courante. Une dizaine de personnes s’installe autour de la table et sort qui un classeur, qui une pochette, qui un cahier. À l’intérieur, des fiches de vocabulaire annotées, distribuées par Josiane lors des séances précédentes.
Née à Hauteluce, Josiane Tercinet se souvient de l’époque où parler la langue locale était interdit à l’école. « Parmi mes camarades, certains n’entendaient parler que patois à la maison. Alors ils avaient beaucoup de difficultés avec le français. » Elle-même se définit comme une « semi-locutrice » : elle comprend bien cette langue et sait « à moitié » la parler. Mais pas suffisamment pour être capable de l’enseigner, d’après elle.
Alors, lorsque les jeunes du groupe folklorique local lui parlent de leur envie de faire quelque chose autour du patois, cette ancienne universitaire se lance dans la recherche. Lorsque le premier confinement est annoncé, en mars 2020, elle emprunte un lexique de patois à l’écomusée d’Hauteluce, fermé pendant le Covid. « Mais ce n’est pas une langue écrite, c’est très difficile de retrouver les bons termes et les bonnes prononciations », explique-t-elle. Pour l’aider, elle s’appuie sur d’autres natifs, notamment une de ses amies, « parfaite locutrice », pour vérifier et enrichir des fiches à distribuer aux ateliers.
Des élèves variés
Ils sont nés à Hauteluce ou viennent d’autres régions de France. Ils ont de 27 à 80 ans. Ils ont toujours entendu parle patois à la maison, ou n’ont commencé à parler cette langue qu’à l’âge adulte. Tous viennent travailler une langue « liée à une histoire plus vaste, à notre histoire », décrit la professeure.
Rémi et Manu, les plus jeunes du groupe, ne sont pas les moins enthousiastes. Tous deux nés dans le village, ils font partie de la génération qui a entendu parler cette langue sans pratiquement jamais l’employer. « On entend les personnes les plus âgées parler patois depuis toujours. Une grosse majorité des jeunes comprend, mais n’arrive pas à le parler », regrette Rémi. Pour Manu, élevé en patois, cette langue a longtemps fait partie de son quotidien en famille. « Depuis la mort de mon oncle, on ne le parle plus. Je viens aux ateliers pour ne pas oublier. »
Marc, originaire de région parisienne, vient régulièrement à Hauteluce avec son épouse, (présente également à l’atelier) depuis dix-sept ans. À sa retraite, il y a sept ans, il a commencé à s’engager dans des associations locales. « Je les connais tous, ici, lâche-t-il. J’ai travaillé avec l’un, je suis le voisin de l’autre… » Pour sa femme et lui, complètement débutants, il s’agit de continuer à s’ancrer dans le territoire. C’est aussi le cas de Joëlle, qui vit à l’année dans le village depuis cinq ans : « Ça montre qu’on est intéressés par le patrimoine local. »
Gilles, au contraire, fait partie des locuteurs natifs. Il a grandi en entendant parler patois, mais ne l’a pas appris dans son enfance : « J’ai travaillé à La Poste, je distribuais le courrier. J’entendais les gens parler patois, donc j’ai appris à le parler pour pouvoir discuter avec eux. » Il se souvient que l’ambiance était différente s’il s’adressait aux anciens en français : « Ils se disaient : «ah, il ne parle même pas patois» . » Pendant l’atelier, Josiane vérifie régulièrement, avec lui et les autres natifs, les expressions et le vocabulaire.
Plus de débat que d’enseignement
La plus grande difficulté, pour les débutants du groupe, c’est la prononciation : puisque personne ne maîtrise l’alphabet phonétique, il faut se débrouiller en écrivant avec les voyelles et les accents français, qui ne correspondent pas toujours aux voyelles du patois. Par exemple, le terme qui désigne la neige, « nê », doit se prononcer entre le « ê », le « â » et le « ain ». Un son qui n’existe pas en français.
En plus, la langue savoyarde, comme nombre de langues régionales, varie énormément selon les lieux où elle est utilisée. Parlée depuis le Val d’Aoste jusqu’à Saint-Étienne, elle connaît presque autant de variations que de villages. Assise en face de Josiane, une femme qui connaît le patois de Belleville, hameau d’Hauteluce, accentue les voyelles d’une manière différente. Et prononce « nê » très autrement.
Dans une circulaire du 14 décembre 2021, le ministère de l’Éducation nationale reconnaît la langue franco-provençale, dont fait partie la langue savoyarde, comme langue régionale. Cela ouvre la voie à l’enseignement du patois dans les écoles, et même à une épreuve au baccalauréat, comme pour le breton ou l’occitan par exemple.