A Habère-Poche, on rentre chez l’Irmande comme on rentrerait chez nos grands-parents. On franchit le portail de la grande ferme située en bord de route, et on est automatiquement transporté dans un monde où se mélangent fées, sorcières, démons… On y apprend à cuisiner des rissoles, fabriquer des balais en bois, on parle un peu franco-provençal, on est « déçu en bien »…
L’Irmande, c’est un personnage qui incarne à lui tout seul l’association Terres de culture Reta (réseau d’échanges transfrontaliers alpins). C’est chez elle que siège l’association. On est allé à la rencontre de son interprète, Martine Desbiolles, et de son mari Roger, bénévole et trésorier de l’association, tous deux passionnés de patrimoine, depuis la première heure.
La 1ère université rurale européenne
Remontons dans le temps. En 1989, des habitants des pays de Savoie, de la vallée d’Aoste et du Valais fondent la 1re université rurale européenne, à Viuz-en-Sallaz, en collaboration avec la Fédération française des foyers ruraux. Plus de 400 personnes y participent pour réfléchir sur le devenir du monde rural. De cette rencontre naît le Reta, avec trois entités pour les trois régions fondatrices. Au fur et à mesure, ils multiplient les projets communs d’échanges et de réflexion sur l’artisanat, l’agriculture, le patrimoine local. « On avait organisé le triangle de la jeunesse entre l’Italie, la Suisse et la France. On avait rassemblé des jeunes pour leur faire faire le tour du mont Blanc en car afin de découvrir l’histoire commune », se souvient Roger Desbiolles, bénévole et trésorier de l’association. Et puis petit à petit « le Reta s’est mis en sommeil, chacun repartant un peu dans ses régions, faire vivre ses structures. »
En 2016, le réveil sonne pour l’association. « On s’est dit qu’on allait essayer de développer un projet autour du patrimoine, en misant sur la transmission », dévoile Martine Desbiolles, actrice et conteuse, interprète de l’Irmande. Ils relancent alors le Reta, qui devient Terres de culture, et se retrouve implantée à Habère-Poche.
« On est tous de quelque part »
Aujourd’hui, les 70 bénévoles, composé de personnes de tous âges, et même d’enfants, regorgent d’idées pour transmettre leur connaissance et leur passion du patrimoine local. Les veillées permettent de se retrouver autour d’un repas, et de profiter d’interventions musicales, théâtrales, de dialogue sur différents thèmes, comme les sorcières ou la cuisine locale… Le parcours Démons et Merveilles, situé juste derrière la grange, en pleine forêt, accueille petits et grands dans un univers féerique pour découvrir les contes et légendes de nos montagnes. Il y a aussi la ferme pédagogique, avec ses cochons, son âne, et même des moutons savoyards. Les ateliers Demain en mains cherchent à transmettre les savoir-faire, comme la fabrication de rissoles, la permaculture, le fauchage…
« On est tous de quelque part, et si on veut continuer d’avancer, il ne faut pas l’oublier. Pour s’ouvrir aux autres, il faut savoir nous-même qui nous sommes. On veut faire comprendre ça au plus grand nombre », conclut Martine Desbiolles.
L’association Terres de culture Reta se mobilise aussi auprès des plus jeunes. Martine Desbiolles est intervenue dans les 17 classes de la vallée Verte, des enfants de 3 à 11 ans. Chaque classe a écrit une histoire en lien avec le territoire, sur les sorcières, les fées, le diable et la vouivre. « L’histoire se promenait dans les classes, ce qui signifie qu’il fallait se saisir de ce que les autres avaient écrit », se souvient Martine Desbiolles. « Il en est sorti quelque chose de super. » L’ouvrage est d’ailleurs disponible à la médiathèque de Boëge.
L’association Terres de culture Reta propose aussi des animations pour les plus grands. Martine Desbiolles, organise des excursions en car, pour découvrir nos vallées, de manière un peu décalée. « J’incarne un personnage, l’Irmande, qui a pour salle de spectacle le car. Je leur fais découvrir la vallée Verte, ou alors la vallée du Brevon », indique la guide-actrice. « On mange toujours dans un restaurant local, avec un repas traditionnel, et c’est une façon de parler de la géographie, de l’histoire, de l’économie, des relations humaines, du tourisme… de façon humoristique », concède-t-elle. « Ça permet de faire réfléchir sur certaines problématiques actuelles. »
Cette animation se décline sur plusieurs versions. « On inclut musique et chant, comme c’est un volet de notre culture aussi. »
L’association Terres de culture Reta est en fait aussi un outil pour la diversification touristique. « On travaille en étroite collaboration avec l’office de tourisme les Alpes du Léman », souligne Roger Desbiolles, bénévole de l’association. « Ici, le tourisme est beaucoup tourné vers le sport : le ski, le vélo, la randonnée… On est un des rares acteurs à parler plutôt culture, patrimoine. On est vraiment dans une logique de diversification. »