Plus que pour toute autre problématique, la justice, qui fait face à un déficit de moyens structurel, apparaît bien désarmée face à la prostitution des mineurs. « Depuis deux ans que je suis en poste, j’ai reçu des milliers de signalements émanant de l’Éducation nationale ou encore de médecins, mais aucun ne concernait des faits de prostitution, relève le magistrat chargé des mineurs au tribunal judiciaire de Bonneville. Pourtant, des fugues de mineurs, on en a beaucoup. » Derrière certaines de ces disparitions temporaires pourrait se cacher de la prostitution.
La mafia albanaise impliquée ?
Le substitut de la procureure de Bonneville Karline Bouisset, chargé des mineurs, pense, tout comme Hélène David, que trafic de drogue et prostitution ont un lien, y compris sur notre territoire : « Cela ne m’étonnerait pas que la mafia albanaise, qui est un peu à l’affût de tout, se livre à un trafic d’êtres humains et soit impliquée dans la prostitution des mineurs. »
« Des soupçons mais jamais rien de concret »
Juge des enfants à Thonon-les-Bains, Noélie Santailler, en poste depuis septembre dernier, a également la désagréable impression de passer à côté de quelque chose : « Au niveau pénal, aucune procédure n’est jamais entamée. Il y a des soupçons mais jamais rien de concret. Il arrive que des éducateurs voient une jeune fille dans la rue avec des hommes ou qu’une adolescente placée possède des objets de luxe. Depuis ma prise de fonction, c’est arrivé une fois qu’une mineure qui avait fugué reconnaisse s’être prostituée, mais c’est un événement isolé. Souvent, il y a des problématiques familiales derrière la prostitution des mineurs. » Le milieu social entrerait nettement moins en compte.
Une parole difficile à libérer
Si aussi peu de cas sont répertoriés, c’est peut-être aussi parce que la bonne façon de recueillir la parole et de la libérer sur un sujet aussi délicat n’est pas une sinécure. « Le meilleur moyen d’amener le jeune à parler de prostitution, c’est de parler de la sexualité, corrèle Nathalie Besson, coordinatrice de l’Appart’74. C’est là qu’on déverrouille certains blocages. »
Médecin urgentiste et responsable des consultations médico-légales au CHAL (Centre hospitalier Alpes-Léman), la gynécologue de formation Isabelle Revil a déjà eu l’occasion d’être confrontée à des mineurs prostitués. « Les violences faites aux femmes sont souvent la porte d’entrée », observe-t-elle.